le Phonographe, un Joujou

"REVUE DE FRANCE, SAMEDI-REVUE" dans le numéro 51 du 22 Mars 1890 publiait les lignes que vous allez avoir le plaisir de lire, un sourire ironique au coin des lèvres

Profonde inanité des découvertes qui ont produit la plus vive impression sur l'esprit public (comprenez : sur le fonds irréductible de la badauderie internationale). La Pall Mall Gazette nous apprend que le phonographe Edison a reçu récemment une nouvelle et étrange application. Il a permis A un prédicateur de prononcer lui-même son oraison funèbre. A cet effet, deux phonographes ont été installés auprès du cercueil ; le premier fit d'abord entendre un chant d'église, puis les lamentations de la femme du prédicateur. Aussitôt après, le second phonographe prononça, en imitant dans la perfection la voix du défunt, une oraison funèbre. Le mort avouait ses fautes avec tristesse, et invitait les assistants à prier pour son salut

Il se pourrait fort bien que cette anecdote sinistre ne fut pas un canard. Elle est d'un macabrisme assez Yankee. Mais, dans ce cas, il serait prouvé, une fois de plus, que le phonographe occupe une place distinguée parmi les inventions inutiles il n'a encore servi qu'aux plaisantins de société ou aux vaudevillistes (qui sont d'ailleurs les mauvais plaisants de la vie théâtrale, c'est-à-dire publique). Il est impossible, je ne dirai pas d'en prévoir, mais simplement d'en imaginer une application utile, soit au point de vue scientifique, soit pour l'usage industriel.

Le phonographe ne sera jamais qu'un joujou. Et, naturellement, de toutes les découvertes d'Edison cette babiole est la plus célèbre, celle dont les bons bourgeois s'entretiendront en famille jusqu'au commencement du vingtième siècle, qui verra soit de bien autres inventions, soit un retour brutal à la barbarie.

Sommaire


Dernière modification 02-2020
(c) 1995, 2006, 2020 _mcs_@phono.org